(ou comment Mattel, après l’échec du siècle, invente la poule aux cheveux d’or relancée sur Netflix)
Musclor (3.0) est revenu sur Netflix, mais ce n’est pas le plus intéressant tu vas voir !

Musquoi ? En 1981, Mattel, géant américain du jouet créé « Les Maîtres de l’univers » (Masters of the Universe ou MOTU, en V.O.). Cette licence comprend notamment 4 lignes de figurines articulées, 5 séries animées, 2 longs-métrages, plusieurs séries de comics et de minicomics, 3 jeux vidéo, un film live et un nombre incalculable de produits dérivés (des pyjamas au matériel scolaire en passant par les View-Master).

Et les héros dans tout ça ? Musclor (He-man en V.O.) du côté du bien, héros sans peur et sans reproche et Skeletor, l’incarnation du mal.

Et pourtant …
He-Man et la gamme de produits qui en a découlé, Masters of the Universe
(MOTU), ont créé un monde fantastique principalement destiné aux garçons, à une époque où les jeux genrés s’imposaient sans nuance.
À son apogée, en 1986, les figurines et autres produits dérivés de la gamme ont été vendus pour un montant total de 400 millions de dollars, rien qu’aux États-Unis. Succès bref pour Mattel, qui a vu cette somme chuter à 7 millions de dollars l’année suivante ! Au total, au cours de ses six années d’existence, la gamme MOTU s’est vendue pour 1,2 milliard de dollars dans le monde et a donné naissance à une série de dessins animés et à un film majeur – un exploit que même Barbie ne peut revendiquer.

Voici pour le contexte. Là où le sujet devient passionnant, c’est lorsque l’on se demande comment Mattel en est arrivé là et surtout, pour quelles raisons ?
Pour bien appréhender ce succès devenu phénomène culturel Pop, remontons au tout début de l’histoire. À la fin des années 70, le contexte était alors très compliqué financièrement, même pour le leader des jouets MATTEL.
Trois catastrophes auraient pu faire mettre un genou à terre au plus grand vendeur de jeux :

Ray Wagner, alors patron des jouets Mattel, refuse en 1976 un contrat de licence avec un « inconnu » nommé Georges Lucas. Le plan initial ? Créer une ligne de jouets et de figurines STARWARS…

Ray passe également à côté de la seconde grosse licence du moment : Conan le barbare (trop adulte, trop violent, mais surtout trop cher).

Pour finir, à cette époque, le droit américain interdisait de créer une série TV basée sur une gamme de jouets mais un acteur cowboy devenue président va changer tout ça malgré les lobbies de défense pour l’enfance (tiens ça ferais un super article de newsletter ça !🤫)

La direction prit alors une décision : suite à tous ces écueils, dorénavant, plus rien ne serait plus laissé au hasard. Tout sera testé !
Malheureusement, rien n’y fais et sans licence, il faut tout inventer, tout imaginer.
Trois prototypes et trois univers sont donc conçus et maquettés. Mais lequel choisir et qu’en faire ?

C’est l’heure pour MATTEL, énorme entreprise multinationale de se rendre à l’évidence et de prendre une direction extrêmement difficile : partir du principe qu’elle ne sait pas tout et utiliser des concepts (on est alors fin 70’s !). Le géant du jouet commence alors à utiliser le design thinking ou encore le Lean startup, de manière totalement intuitive, avant même leur modélisation en marketing.
Mattel va se mettre à l’écoute et tenter de comprendre les enfants de 5 à 10 ans via des études consommateurs. Leur objectif ? Vérifier la désirabilité et la viabilité de leur création en vue de développer ce nouvel univers.
Ils découvrent ainsi que les enfants ont soif de liberté. Ils en ont marre de suivre les règles des adultes. Les enfants rêvent d’avoir plus de … POUVOIR !

De ces études sur les mini-consommateurs naît une première gamme de jouets.

La matière était là, mais ils ne voulaient pas juste sortir une simple nouvelle ligne de figurines en plastique. Ils voulaient frapper FORT et VITE :
- 💪🏽 Plus GROS que la concurrence directe : la gamme de jouets « Masters of the Universe » sera commercialisée sous forme de figurines articulées de 5½ pouces (par opposition à la taille de 3¾ pouces de la marque Kenner pour Star Wars et Hasbro pour GI Joe: A Real lignes American Hero).

- ⚙ Optimisation de chaîne de fabrication, façon SWATCH : la quasi-totalité des modèles masculins sera basée sur le même moule. Seules les couleurs changeront d’un personnage à l’autre.

- 🙈 Un plagiat subtil : un nom différent de l’original, mais pas trop : He-man vs Conan.

- ✨ Des allures POP : un prince aux cheveux blonds et des couleurs Pop pour rompre avec le sombre Conan.

- 🎁 STORYTELLING et EXPÉRIENCE CLIENT : de grands auteurs et dessinateurs travaillent avec les équipes marketing sur la scénographie du packaging et l’expérience qui en découle. Dorénavant, des illustrations, des posters et surtout des mini-bandes dessinées accompagnent le jouet.

- 💥 BRAND ENTERTAINMENT : les fabricants de jouets obtiennent le droit de créer une série à partir d’une ligne de jouet. MATTEL, associé à FILMATION, transcende l’univers des jouets jusqu’à développer sa propre indépendance créative.

À partir de cet instant, des personnages féminins intègrent le dessin animé. L’objectif est probablement, on peut l’imaginer, de prendre place sur les rayons de jouets. Appâtant ainsi un public deux fois plus large, Mattel et sa recette She-ra, invente la mixité des bacs à jouets !

Et c’est alors que tout s’écroule. MATTEL en veut toujours plus et va trop vite. Ils inondent les magasins de déclinaisons Musclor/She-ra, sans réapprovisionner les « packs de démarrages » pour les primo-arrivants sur la licence. Du coup, ils cassent leur recette magique, commencent à baisser la qualité des packagings, arrêtent les mini-comics et diminuent la quantité de plastiques utilisés (tout en lançant toujours plus de nouvelles licences). Dans le même temps survient le 1er krach du jeu vidéo, qui touche de plein fouet leur Intellivision.

Peu à peu, les garçons délaissent la licence qui perd de son aura. Le partage du bac à jouets ne semble pas au goût des jeunes garçons des années 80… et l’entrée des filles par la grande porte dans leur univers exclusivement masculin vient remettre en question la valeur de celui qui était, peu de temps avant, érigé en héros.

C’est ainsi que MATTEL, après s’être relevé de revers coûteux, perd sa poule aux œufs d’or en se montrant précurseur, dans un monde qui n’était vraisemblablement pas prêt à voir les frères et sœurs partager leurs produits…

En plus de la série animée, il a été annoncé en janvier 2022 que Mattel et Netflix développaient « Masters of the Universe » en un film d’action en direct, avec une production prévue pour commencer à l’été 2022.

Cette nouvelle série a été critiquée par les fans de l’original « He-Man and the Masters of the Universe » (1983-85), car elle tue le personnage éponyme dès le premier épisode, laissant la place à Teela, un personnage secondaire, qui devient essentiellement le protagoniste de la nouvelle série.
Les fans, furieux, semblent avoir l’impression d’avoir été trompés par la campagne publicitaire de la nouvelle série, qui laissait présager une série centrée sur He-Man, dissimulant le rôle de Teela en tant que protagoniste.

En conséquence, les réseaux sociaux sont remplis de commentaires reprochant à Smith d’avoir rendu He-Man « woke », tandis que des youtubeurs opportunistes feignent l’indignation face à l’accent accru mis sur la diversité dans la série, rendant le discours de plus en plus toxique.
Face à ce retour de bâton, Smith a réagi de manière désinvolte, déclarant :
« Je sais qu’il y a des gens qui disent, ‘Hey, mec, cette série est woke’. Je leur réponds, très bien, alors l’original aussi l’était. Il y avait des filles dans chaque épisode. Faites avec. »
Cette controverse familière marque le retour d’un cycle apparemment sans fin, dans lequel une ancienne franchise bien-aimée est relancée et se voit attribuer un vernis progressiste plus en phase avec les sensibilités actuelles, ce qui exaspère une partie de la base de fans très présente en ligne qui se sent souvent trahie, déçue, voire repoussée par ce changement de cap.

Ainsi, seulement les cinq premiers épisodes de « Masters of the Universe : Revelation » sont disponibles sur Netflix, avec la seconde moitié de la saison qui reste à sortir. Et, malgré l’échec retentissant de He-Man (et de son alter ego, le Prince Adam), la série prépare clairement le personnage pour un retour triomphant.
Rob David, vice-président du contenu créatif chez Mattel Television, confirme pratiquement cela avec ses commentaires sur la controverse :
« Mes films préférés sont ‘The Empire Strikes Back’, ‘The Wrath of Khan’, » a déclaré David. « Le héros est vraiment durement touché, puis l’histoire devient celle de comment le héros se relève et devient meilleur et plus fort que jamais. En dépouillant essentiellement le héros de tout ce qu’il tenait pour acquis, le héros révèle à lui-même ce qui le rend réellement fort à l’intérieur, puis doit se reconstruire. Nous pensions qu’en ayant un personnage inattendu [Teela] qui entreprend ce voyage en temps réel avec le public, nous pourrions vraiment souligner à quel point He-Man est important, et à quel point ces thèmes sont importants. »

Cependant, il est à noter que malgré la controverse, la série animée He-Man et les Maîtres de l’Univers a réussi à sortir trois saisons entre septembre 2021 et août 2022.

En outre, Mattel a profité de l’occasion pour introduire Sun-Man, un personnage noir créé en 1985 par une mère du New Jersey qui voulait créer un modèle pour son fils. Ce mouvement a été salué comme une bonne initiative pour la diversité.

Aujourd’hui, les professionnels du marketing, en prise aux nécessaires combats sociétaux, font preuve d’une grande vigilance pour ne pas se voir reprocher une approche patriarcale et genrée, en particulier dans ce secteur. Et si parfois, certains s’essoufflent devant les avancées timides arrachées à un sexisme ancré au burin… il est toujours intéressant de se rappeler qu’il y a quelques décennies, Mattel, pour avoir osé imaginer qu’un jouet est un jouet, et un enfant un consommateur mixte, perdait brutalement des millions de dollars.

Pour reprendre des forces devant le chemin à parcourir, rien de mieux que de se réjouir que ces temps soient révolus, et de voir les marques trembler devant des comptes comme Pépite Sexiste #PepiteSexiste.

Qui pourrait imaginer que Mattel, marque emblématique des produits genrés et segmentés pendant des décennies, avait été un modèle précurseur, acteur déchu d’une tentative de mixité commerciale dans les années 80 ? La marque, connue pour avoir poussé à l’extrême le cloisonnement des jouets avec sa célèbre Barbie et son alter ego de l’époque Big Jim, est pourtant à l’origine d’un coup de maître… (de l’univers) avant d’avoir sombré, impuissante (malgré le crâne ancestral).

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